Bref, le sociologue n’est à ce jour ni outillé, ni formé, pour appréhender des faits relevant du champ paranormal, champ impliquant d’autres densités, d’autres dimensions sans doute. Et quand bien même sa sensibilité personnelle le porterait à s’intéresser à ces phénomènes, à partir du moment il revêt son habit d’observateur, d’enquêteur et d’analyseur social, les vieux réflexes rationalistes et matérialistes reviennent au pas de charge. Ne pouvant la plupart du temps ni photographier, ni observer lui-même le phénomène, ni procéder à un entretien auprès de l’entité ou de la présence, il se trouve intellectuellement dépourvu face aux phénomènes paranormaux, un peu comme une poule devant un couteau. Confronté à cet état d’incertitude mentale, les quatre tiroirs lui apparaissent naturellement comme autant de portes de sortie intellectuelle. Le sociologue « dépourvu quand la bise paranormale fut venue » n’a aucun outil pour penser ce fantôme traversant une pièce qu’il ne voit pas lui-même. Il sait qu’il ne l’interviewera pas, il sait qu’il ne pourra pas plus se mettre en immersion participante dans la tribu des fantômes pour comprendre le phénomène, ainsi que le firent des ethnologues de terrain en Afrique ou ailleurs ; il ne peut non plus appliquer sur lui la grille de lecture des catégories socio-professionnelles pour jauger son comportement, ni même espérer le prendre en photo pour preuve de son existence tant ces phénomènes sont évanescents et imprévisibles. Idem pour le vaisseau spatial et son supposé E.T, peu friand d’interviews à la demande, comme chacun le sait ! Que reste-t-il au sociologue pour remplir sa mission ? Comment pourra-t-il honorer sa profession en fonction de ce qui lui a été appris ? Bien sûr il lui reste les témoins, ces êtres en pâte humaine hautement subjectifs ayant assisté à des phénomènes étranges, mais il les sait enclins à des comportements de groupe. Ainsi, les outils d’investigation dont se sert habituellement le sociologue sont quasi-inopérants, la situation lui échappe conceptuellement puisque ces phénomènes outrepassent souvent les lois physiques, mais aussi méthodologiquement puisque les approches de terrain ne peuvent se réaliser de la façon qui lui a été apprise. Le fait est qu’il ne maîtrise plus rien dans cette terre inconnue, d’autant que les comportements des «choses» observées défient parfois les lois du temps et l’espace, bref, rien de ce qu’il connaît ne semble approprié, rien ne colle, c’est la bérézina Imaginez le malaise ! C’est comme un médecin à qui l’on demanderait de disséquer un corps sans chair dans un bloc classique de chirurgie, comment doit-il s’y prendre ? Je crois que c’est à cette question qu’il faudrait non pas répondre, car ceci serait péremptoire en l’état actuel de nos connaissances, mais commencer à réfléchir. J’ose espérer que la sociologie va entamer une réflexion dans ce sens, elle a intérêt à le faire si elle ne veut pas être dépassée à l’avenir. L’autre solution pouvant faire réagir cette discipline serait, par exemple, qu’un gouvernement reconnaisse officiellement que les ovnis existent, qu’ils en ont la preuve et qu’à la suite de cela des informations concrètes soient officiellement balancées sur tous les médias. Là, vous verriez les observateurs sociaux changer radicalement de comportement, se précipitant sur ces sujets qu’ils bannissaient ou brûlaient auparavant.
©
La sociologie me déçoit souvent, pourtant je l’aime, et je continue de penser qu’elle jouera un grand rôle le jour elle aura la sagesse d’intégrer la multidimensionnalité dans ses analyses. Elle est un domaine du savoir prometteur, car elle est capable de relier toutes les autres disciplines existant sur le marché du savoir, chose dont ne sont pas capables d’autres diciplines. En d’autres termes, elle pourrait être la clé de voûte assurant la cohésion de toutes les formes de connaissances de la planète. Elle peut être cette clé de voûte, d’ailleurs sa fonction a de tout temps consisté à rendre compte de la pluralité des croyances, des cultures, des sciences, des technologies, des arts, des institutions politiques, etc. Elle englobe naturellement tout ce que le monde contient de savoir-être et de savoir-faire, mais elle sait aussi mettre en relief les différences et les spécificités de chaque culture continentale, sa mission consistant justement à restituer cette kaléidoscopie dans une vision d’ensemble.
suite suite
A ce titre, sa forme de connaissance surplombe tous les grands domaines et toutes les disciplines ; non parce qu’elle dominerait les autres disciplines, la question n’est pas là, mais au sens elle est capable de les appréhender simultanément afin de les souder dans une logique d’ensemble. Oui, la sociologie est la mieux placée pour réaliser le lien entre les savoirs nés de cultures et d’expériences différentes, de cela je suis persuadée depuis longtemps. Elle sait que les savoirs, les connaissances et les disciplines se frottent incessamment les unes aux autres, et que de ce frottement perpétuel naît à chaque instant ce que nous appelons l’Histoire, nos histoires de vies individuelles aussi. Que fait la sociologie sinon nous parler incessamment de ces forces de frottements, de ces interactions prenant une épaisseur sociale par le biais de nos rites, de nos coutumes et de nos institutions. Pour toutes ces raisons je n’hésite pas à dire qu’elle joue, d’un point de vue métaphorique, le même rôle que le boson de Higgs.
Coin Lecture & Accueil Coin Lecture & Accueil